Aujourd’hui, nous étions samedi. Contrairement à la plupart des familles de ce monde, ma famille et moi avions l’habitude de dîner tous ensemble le samedi midi alors que cela se faisait généralement le dimanche. Papa avait toujours été du genre à défier la chronique et il détestait plus que tout faire les choses comme les autres. Je crois que c’est quelque chose dont j’ai d’ailleurs hérité de lui. Mon style vestimentaire est propre à ma personnalité même s’il arrive qu’il dérange. Quoi qu’il en soit, je me fiche de ce que l’on peut dire. Tant que je me sens bien, rien d‘autre ne compte. Il y a de cela un peu moins de deux ans, j’ai quitté la demeure familiale pour aller vivre dans un appartement même si je suis restée à Higgins Gap. J’aime particulièrement cette ville et mon père et ma sœur étant ma seule famille, je ne me voyais pas les quitter. Ils sont particulièrement importants pour moi. De plus, j’avais déjà commencé mes études de littérature anglaise ici alors à quoi bon partir ? J’aurais très bien pu rester à la maison, Papa et Divya me l’avaient plusieurs fois proposé mais j’avais tout bonnement besoin d’un minimum d’indépendance. Malgré tout, j’étais venue dormir dans la demeure familiale vendredi soir soit la nuit dernière. Cela était l’occasion pour moi de passer la nuit avec ma petite sœur, Lindy à qui je tiens énormément. C’est étrange mais avec elle, j’ai l’impression d’être mère à vingt-deux ans. Oui, je me fais énormément de soucis pour elle ce qui a le don de l’exaspérer. Je ne fais que prendre soin d’elle, ce n’est pas bien méchant au fond. Enfin là, je m’étends sur un sujet bien trop long à explorer. De plus, je ne suis pas bien certaine que vous soyez intéressée par cela.

Cette coutume du dîner en famille le samedi était en réalité en phase d’essai. Oui, ce week-end serait la première fois que nous nous réunirions Papa, Lindy, Divya ma belle-mère et Alixan mon « demi-frère ». Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas eu l’occasion de partager un moment en famille. Alixan avait sa vie de son côté en tant que vendeur et mes études me laissaient peu de temps à consacrer à la famille. Toutefois, j’étais prête à faire un effort car il s’agit là de quelque chose de très important pour moi. La journée du samedi était passée particulièrement vite. J’étais déjà en train de mettre la table dans le jardin en compagnie de Lindy. Divya, quant à elle, s’activait en cuisine et Papa faisait je-ne-sais-quoi. Il devait encore prévoir un truc dans son coin et nous ferait la surprise dans la soirée. Alixan allait dormir ici ce soir. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas dormi dans la même maison. La dernière fois que cela s’était produit, nous avions encore une fois passé une nuit clandestine dans les bras l’un de l’autre. Puis, j’avais finalement rompu avec lui. Il était le fils de ma belle-mère. Nous n’avions aucun lien du sang, certes mais cela ne se faisait pas. J’avais choisi d’écouter la raison plutôt que ce que me disait mon cœur. De plus, c’était devenu trop douloureux de le voir emballer d’autres filles alors que nous étions d’une certaine manière ensemble. Installant la nappe en soie blanche avec ma sœur, je pris soin de la lisser quelque peu une fois mise en place afin d’en ôter les plis. « Lindy, va me chercher le service en porcelaine s’il te plaît. Tu m’apporteras le linge de table pourpre ensuite. » Blanc et violet, ce serait un joli mélange qui ne manquerait pas de nous rappeler le mariage de mon père avec la mère d’Alixan. Lindy fit vite et la table ne tarda pas à être mise. Ma belle-mère avait congédié la bonne pour le week-end. Elle aimait faire les choses par elle-même et elle se débrouillait plutôt bien avec cela. Fatiguée par la préparation que ce repas pourtant simple avait nécessité, je me laissai tomber sur le canapé du salon. Je raffolais du moelleux des coussins de plumes d’oie. Je fermai les yeux, me laissant porter vers de doux rêves. Je me voyais face à la vitrine d’une librairie, scrutant un livre sur lequel était écrit mon nom à la place de celui d’un auteur connu. La sonnerie retentit finalement. « J’y vais. » Je ne doutais pas du choc que ça me ferait de revoir Alixan dans ces conditions. Je mis un pas devant l’autre, faisant attention à ne pas trébucher avec mes talons à cause d’un défaut du parquet en chêne. Je posai ma main sur la poignée, inspirai fortement puis appuyai enfin afin d’ouvrir la porte. L’apercevant, j’eus l’impression de prendre une claque en pleine figure. Si je m’étais écoutée, je l’aurais embrassé, là, tout de suite, devant chez nous, sur le pas de la porte. Je ne pouvais nier qu’il m’avait terriblement manquée. Soudainement, vêtue de ma robe noire flatteuse, je ne me sentis plus à la hauteur. Comme si je ne l’avais finalement jamais mérité… Je parvins tout de même à lâcher un « Bonjour » même si c'était plutôt maladroit.